"Les stéréotypes et le plafond de verre sont encore puissants" :
le long chemin vers la parité dans les directions des entreprises
Le 27 janvier 2011, la loi Copé-Zimmermann a instauré un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des grands groupes. Dix ans plus tard, la France est en tête des pays européens en la matière. Mais il reste encore beaucoup à faire.
Par Marie Charrel, Isabelle Chaperon et Juliette Garnier - Illustration Severin Millet
Tout un symbole. Pour la première fois de son histoire, la Bourse de Paris est sur le point d’être dirigée par une femme : Delphine d’Amarzit, 47 ans. Le 15 mars, l’ancienne directrice générale adjointe d’Orange Bank deviendra PDG d’Euronext Paris et intégrera le comité de direction d’Euronext, la société détenant, entre autres, la Bourse tricolore. Une petite révolution dans la finance, secteur encore largement dominé par les hommes. Surtout lorsque l’on sait que le Palais Brongniart, vénérable institution fondée en 1724, a interdit aux femmes de pénétrer dans ses murs jusqu’en… 1967.
Autre symbole, presque aussi fort : d’ici à quelques semaines, Barbara Dalibard, une scientifique de haut vol de 62 ans, va prendre la tête du conseil de surveillance de Michelin – elle aussi sera la première femme à occuper ces fonctions. « C’est historique. Cela illustre les progrès faits par la France », s’est enthousiasmée l’ancienne patronne du Medef, Laurence Parisot, jeudi 21 janvier, lors d’une table ronde sur le sujet, au Sénat.
Delphine d’Amarzit, nommée PDG de la Bourse de Paris, le 18 janvier et Barbara Dalibard, à la tête du conseil de surveillance de Michelin, en 2013. THOMAS COEX / AFP - ERIC PIERMONT / AFP
En matière de parité, les lignes bougent enfin dans l’Hexagone : les femmes se hissent peu à peu dans les instances dirigeantes des grands groupes, et cela tient beaucoup à la loi Copé-Zimmermann, promulguée il y a dix ans, le 27 janvier 2011. Celle-ci a instauré un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration (CA), à atteindre le 1er janvier 2017 pour les sociétés cotées et les entreprises de plus de 500 salariés. Un seuil ensuite étendu aux entreprises de plus de 250 salariés, dès le 1er janvier 2020.
Nombreuses réticences des patrons
« En 2011, les femmes représentaient moins de 10 % des membres des CA des grandes entreprises », raconte l’ancienne députée de Moselle Marie-Jo Zimmermann (alors UMP), à l’origine de la loi. A l’époque, elle se heurta à de nombreuses réticences des patrons, lesquels arguaient que le vivier de candidates qualifiées était trop limité. Elle leur a tenu tête, convaincue qu’en vérité elles ne manquaient pas. Et que seul un quota contraignant ferait vraiment progresser la mixité.
Aujourd’hui, on recense 44,6 % d’administratrices dans les grandes entreprises cotées du CAC 40 et 45,2 % au sein du SBF 120
Dix ans plus tard, les faits lui ont donné raison : « Si l’on regarde les chiffres au sein des grandes capitalisations boursières, c’est une réussite », dit Brigitte Grésy, présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), saluant ce résultat. Aujourd’hui, on recense 44,6 % d’administratrices dans les grandes entreprises cotées du CAC 40 et 45,2 % au sein du SBF 120, l’indice regroupant les 120 plus grandes sociétés françaises.
« Grâce à cette loi, la France est en tête de l’Union européenne, dont la moyenne est à 29,5 % pour les grands groupes », ajoute Blandine Mollard, de l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes. L’Hexagone fait mieux que l’Italie (38,4 %), l’Allemagne (36,3 %), mais aussi que les bons élèves nordiques, à savoir l’Islande (44,4 %) et la Norvège (40,4 %).
La loi a si bien fonctionné que le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a promis, le 18 janvier, de « passer à la vitesse supérieure » : il est favorable à l’élargissement du quota aux comités exécutifs (les « comex ») et de direction (« codir »). « Nous ne sommes pas encore parvenus à casser un certain nombre de plafonds de verre », a-t-il admis devant l’Assemblée nationale.
« Exigence de sérieux et de clarté »
Au sein des conseils d’administration, l’arrivée des femmes a bouleversé la gouvernance. « Le ton y est devenu plus constructif, a détaillé devant le Sénat Laurence Parisot, passée par de nombreux CA (BNP Paribas, Coface, EDF…). Les femmes ont apporté un ancrage dans la réalité qui donne plus de force aux conseils. Et la mixité évite les dérives de toute-puissance. Le phénomène des “grosses têtes” disparaît ! »
« Il n’y a aucun doute pour moi : le fonctionnement des conseils a été amélioré. Les femmes qui y sont entrées ont occupé toute leur place, confirme Jean-Dominique Sénard, président de Renault, chez Michelin au moment de l’entrée en vigueur de la loi. Je l’ai vu avec Michelin. Elles sont allées au fond des sujets, avec une exigence de sérieux et de clarté qui a forcé les équipes de direction à s’adapter. »
Conséquence inattendue, « l’instauration de quotas dans les conseils d’administration a également commencé à rebattre les cartes du pouvoir entre les grandes écoles », souligne Michel Ferrary, professeur affilié à Skema Business School, auteur d’une étude sur les effets de la loi Copé-Zimmermann en janvier 2021. Un sujet dont on connaît l’importance en France, où l’Inspection générale des finances et d’autres corps des Mines se partagent les bastions du capitalisme.
« La parité s’arrête aux portes du pouvoir »
Première victime de la féminisation des « boards », l’Ecole polytechnique, où la proportion de diplômées par promotion tourne autour de 20 %. Selon les calculs de M. Ferrary, le nombre d’X masculins siégeant dans les conseils d’administration ou de surveillance est ainsi passé de 89 en 2008 à 41 en 2017, une évaporation qui n’a pas été compensée par la montée en parallèle de 1 à 13 du nombre de polytechniciennes dans ces cénacles. Dans le même temps, HEC, dont les promotions sont quasi paritaires, a à peine écorné son influence dans les conseils, passant au total de 43 à 40 représentants.
La répartition des tâches au sein des conseils d’administration reste très genrée
Seulement voilà : en dépit de cette ouverture et des bons chiffres célébrés par la France, les nuances ne manquent pas. « Dans les CA, les femmes sont minoritaires au sein et à la tête des comités stratégiques, des comités d’audit et de ceux dédiés à la nomination-rémunération des dirigeants, relève Antoine Rebérioux, économiste à l’Université de Paris et coauteur d’une étude sur le sujet en juin 2019. En revanche, elles sont surreprésentées dans les comités responsabilité sociale des entreprises (RSE), supposés relever des qualités plutôt féminines. »
Dit autrement, la répartition des tâches au sein des CA reste très genrée. « La parité s’arrête aux portes du pouvoir », regrette le HCE, dans un bilan de la loi à paraître le 26 janvier. De fait, très peu de CA sont présidés par des femmes, à l’exception de ceux de Sodexo (Sophie Bellon), Legrand (Angeles Garcia-Poveda) ou encore Vallourec (Vivienne Cox).
Politique volontariste
En outre, beaucoup de progrès restent à accomplir pour les entreprises de 250 à 500 salariés. Elles aussi sont censées appliquer le quota de 40 % depuis le 1er janvier, mais trop peu de données sont disponibles pour vérifier si elles le font vraiment. Et à Bercy, personne ne s’en charge…
« Contrairement à ce que l’on espérait il y a dix ans, cette loi n’a pas tellement infusé dans les autres instances de direction », notent Marie-Laetitia Gourdin et Françoise Derolez, présidentes du réseau féminin PWN Paris. C’est peu de le dire : en 2020, les femmes n’étaient que 21 % au sein des comités exécutifs et de direction du SBF 120. A ce jour, une seule entreprise du CAC 40 est dirigée par une femme : Engie, avec Catherine MacGregor.
Catherine MacGregor, directrice générale de Engie, le 3 décembre 2020 à Paris. JOEL SAGET / AFP
Même chez les bons élèves, régulièrement en tête des palmarès des groupes œuvrant pour la parité femmes-hommes, le chemin à parcourir reste long. A l’exemple de L’Oréal, où, en mai, Nicolas Hieronimus, actuel directeur général adjoint chargé des divisions, deviendra PDG. « Comme prévu, c’est un homme blanc qui a fait toute sa carrière chez L’Oréal qui succédera à Jean-Paul Agon »,persifle une cadre.
Certes, cette nomination a été couplée à celle d’une femme, Barbara Lavernos, au poste de directrice générale adjointe, et le groupe a largement féminisé son management ces dernières années. Toutefois, en dépit de cette politique volontariste, les piliers du groupe sont toujours dirigés par des hommes. En particulier la division luxe (Yves Saint Laurent, Lancôme) et les produits grand public (Garnier, Elsève), respectivement pilotés par Cyril Chapuy et Alexis Perakis-Valat. A eux deux, ils pèsent 79 % du chiffre d’affaires de L’Oréal.
« Les stéréotypes sont encore puissants »
Si les femmes restent sous-représentées aux postes de pouvoir, c’est aussi parce que les obstacles à leur carrière demeurent et ce, dès leur entrée sur le marché du travail. « Les écarts de salaire et de promotion continuent de se creuser nettement à partir du premier enfant : les stéréotypes et le plafond de verre sont encore puissants », constate Oréade Knobloch, du cabinet Place à l’égalité. « Autant dire que, si l’on compte sur la seule évolution des comportements, les changements seront trop lents », ajoute Catherine Bonneville-Morawski, fondatrice du cabinet de conseil en mixité Eragina.
D’où l’idée d’instaurer également un quota de 40 % dans les comités exécutifs et de direction envisagée par la ministre du travail, Elisabeth Borne, la ministre déléguée à l’égalité femmes-hommes, Elisabeth Moreno, et Bruno Le Maire. Par exemple, en incluant ce quota dans l’index de l’égalité professionnelle, qui évalue les entreprises en fonction d’une série de critères, comme les écarts de salaire. Une proposition de loi devrait être déposée à la mi-mars. Cette perspective, cependant, ne soulève guère l’enthousiasme du patronat, plutôt favorable à des quotas non contraignants, soulignant qu’il faudrait d’abord revoir le code du commerce pour donner une base légale aux comex et codir. D’aucuns avancent en outre que le vivier de candidates risque d’être insuffisant, comme en 2011…
« Légiférer sans vérifier ne sert à rien », insiste Brigitte Grésy, rappelant qu’il est essentiel de s’assurer déjà que les entreprises de plus de 250 salariés respectent bien les quotas pour les CA. Elle suggère d’en confier le suivi aux greffes, et qu’une cellule de Bercy compile les données. De son côté, Marie-Jo Zimmermann s’inquiète aussi de la charge supplémentaire reposant sur les épaules des femmes depuis le début de la pandémie de Covid-19, au détriment de leur vie professionnelle. « Elles risquent d’être les grandes perdantes de cette crise »,prévient-elle.
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