Les mots du féminisme : Mixité
Ryane Meralli-Ballou avocate et consultante a fondé le think-tank : propriétés-immatérielles.org pour défendre les libertés et les données personnelles, elle est Membre de PWN Paris depuis de nombreuses années, elle nous présente une nouvelle rubrique intitulée les mots du féminisme.
Christian Bertolino, sémiologue, démarre cette chronique. Il enseigne la communication et nous donne l’air du temps sur le mot Mixité et son emploi actuel.
1. Mixité, voici la définition que nous en donne le dictionnaire Larousse d’aujourd’hui :
1.1 Caractère d'un groupe, d'une équipe, d'un établissement scolaire comprenant des personnes des deux sexes.
1.2 Mixité sociale cohabitation, dans une zone géographique ou une collectivité donnée, d'individus ayant des origines ethniques, sociales, culturelles différentes.
Christian Bertolino, que pensez-vous de cette définition couvre-t-elle toute la notion et son évolution telle que nous l'utilisons, aujourd'hui ?
Le terme mixité a évolué à travers ses usages dans les dernières décennies. La première acception que donne le Larousse renvoie à l’idée de présence commune d’individus de sexe masculin et féminin dans un groupe, sportif, scolaire ou autre. Cette présence commune, qui nous paraît aller de soi aujourd’hui en France, a mis près d’un siècle à être acceptée. Elle est encore timide dans le monde du sport, dominé par un stéréotype sexiste selon lequel les sports de grâce seraient réservés aux femmes, les sports de puissance aux hommes. Mais les choses changent, selon Juliette Marie, écrivant pour Usbek & Rica :
« Les épreuves mixtes s’invitent dans les plus grands événements sportifs, à l’image du relais natation mixte inscrit aux Jeux olympiques 2020 à Tokyo. Véritable laboratoire d’idées du CIO, les Jeux olympiques de la jeunesse font de la mixité un de leurs fers de lance. Aux Jeux mondiaux, les disciplines mixtes prennent aussi leur envol » (1) .
Historiquement, c’est la mixité scolaire qui a été pionnière ; car l’École, qui portait au fronton de ses établissements la devise républicaine, ne pouvait que s’interroger sur la valeur d’Égalité, et «Il n’y a pas d’égalité sans mélange », comme le résume la philosophe Geneviève Fraisse. Ce mélange des garçons et des filles a été institué dès le début du XXe siècle, au nom de l’égalité des chances offerte par l’éducation et, au-delà de l’école, par les lieux de vie. La mixité a ainsi été prônée dans des politiques d’intégration successives pour lesquelles le milieu de vie doit réunir plutôt que séparer les individus selon leur sexe, leur nationalité, leurs origines sociales ou religieuses.
Ce qui nous amène à la seconde acception, celle de mixité sociale, où la notion de « mixte » évolue : elle ne couvre plus seulement la réunion de personnes des deux sexes, mais la cohabitation – dans une même zone géographique - de personnes issues de milieux sociaux et origines ethniques différentes. C’est là qu’entre en jeu la lecture idéologique de cette mixité, à gros traits : la mixité comme immixtion (d’étrangers), menace ou perte d’identité pour les uns ; la mixité comme proximité permettant (idéalement) à chacun.e de s’enrichir des différences pour les autres.
1.3 Reste un troisième emploi assez courant du terme, celui de mixité conjugale. A propos de cette désignation de « couple mixte », Dominique Schnapper fait remarquer que la mixité s’emploie pour caractériser – plutôt qu’une différence de milieu social - une différence culturelle, implicitement perçue comme transgressive des normes sociales ou religieuses :
« (…) On parle de mariage mixte quand on a le sentiment que la norme de la proximité sociale entre les conjoints est, d’une manière ou d’une autre, transgressée. Quand on pense que la distinction entre catholiques et protestants a un sens et une valeur, quand on juge que la catholicité et le protestantisme doivent se perpétuer, le mariage entre ceux qui appartiennent à ces collectivités est perçu comme une transgression : il s’agit alors d’un mariage mixte. (…) Elle est particulièrement forte s’agissant de mariages entre Français et Africains, du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne. En revanche, la mixité des couples entre Européens de nationalités différentes est faible. (…) Le mariage apparaît moins mixte quand il s’agit d’unir des conjoints de milieu social différent. Non que les différences sociales soient supprimées, mais la morale démocratique en diminue la perception. »
2. Il existe une norme mixité « ISO Mixité 26000 » qui date de 2016 et qui est expliquée comme suit par son éditeur :
« Selon la norme, il existe une relation positive entre l'égalité hommes-femmes et le développement économique et social. C'est la raison pour laquelle l'ONU l'a inscrite comme l'un de ses Objectifs de développement du millénaire. Les discriminations ont un impact négatif sur les individus, les familles, les communautés et les sociétés, car elles en limitent le potentiel. C'est pourquoi l'égalité hommes-femmes est un élément central de la responsabilité sociétale. Pour lutter contre les préjugés et promouvoir la parité, les organisations doivent être attentives à différents aspects».
RMB : Certes l’évolution va dans ce sens, celle-ci couvre-t-elle la réalité sociale ?
CB : On le sait, la question de la parité homme/femme dans l’égalité des salaires, dans la représentation des institutions de toutes sortes, est loin d’être réglée. Il me semble que la revendication de cette égalité de traitement et de valorisation se trouve désormais englobée dans la polyphonie des voix (légitimes) qui dénoncent une discrimination liée à leur différence (d’orientation sexuelle, de communauté d’appartenance, de handicap, de religion, d’âge ...). Car on peut tout à la fois être femme, asiatique, homosexuelle, et subir à ce titre une triple discrimination. Ce phénomène d’entrecroisement ou de cumul des discriminations, qui correspond à la réalité sociale, est étudié sous le terme «intersectionnalité» en sciences humaines.
Accélérer le mouvement, c’est bien sûr promouvoir cette norme et plus globalement le principe de valorisation de la diversité en entreprise, assez proche de la norme « Iso Mixité 20006 » puisqu’il désigne « … toutes les stratégies visant non seulement à lutter contre les discriminations, mais aussi à faire des différences entre les collaborateurs un levier de performance pour l’entreprise (2) ».
On constate que les définitions et bénéfices identifiés varient. L’argumentation de la norme ISO, que vous rappelez, est à la fois manichéenne et très générique en termes de bénéfices : la parité homme /femme crée une relation positive dans le sens d’un développement économique et social. L’argumentation sur la diversité, d’inspiration nord-américaine, témoigne plus explicitement du bénéfice business de la démarche : levier de performance pour l’entreprise. On s’en réjouit pour les personnes reconnues dans leur différence. Mais attention à ne pas valoriser les différences au seul motif de leur profitabilité.
On voit donc que les emplois contemporains font du mot mixité une notion plus large que la seule coprésence homme/femme, porteuse aussi d’implicites culturels, et que le combat à mener pour la reconnaissance de l’égalité homme/femme s’inscrit dans une problématique de diversité plus complexe.
Retrouvez cette rubrique le mois prochain avec la définition d'un nouveau mot.
(1) https://usbeketrica.com/fr/article/la-mixite-est-elle-l-avenir-du-sport
(2) https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2005-5-page-6.htm
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