Portrait de Marie-Christine Levet fondatrice d'Educapital
Le 31 mai dernier, Marie-Christine Levet recevait l'award THE ONE décerné par PWN Paris pour la création d’Educapital, un fond qui finance l’innovation dans l’éducation.
The ONE : Oser un Nouvel Equilibre a été créé cette année pour mettre en lumière des initiatives sociétales remarquables d'entrepreneurs et dirigeants.
Découvrez son parcours, sa personnalité et son engagement
J'ai démarré par un parcours classique : HEC, du conseil, des grandes sociétés américaines dans des fonctions financières où j’aurai vite atteint le plafond de verre, puis l’Insead, pour m’ouvrir à un milieu plus international, et en 1997, j’ai découvert le monde de l'intrapreneuriat. Lycos voulait s’implanter en Europe, j’ai ouvert leur bureau en France, recruté, développé le site, vendu les premières campagnes publicitaires… Nous étions juste derrière Yahoo, le premier moteur de recherche en France. La crise de Lehman Brothers est arrivée, Lycos a été vendu juste avant la crise mais Telefonica n’a pas développé Lycos et a laissé rentrer Google sur le marché. Je suis partie en 2001 pour reprendre Club Internet qui était à 70 M de CA, je l’ai amené à 350 M de CA en développant la société, en mettant en place des process, en développant de nouvelles lignes de produits tout en gardant l’esprit start up. Je l’ai vendu au bout de 8 ans à 500 M. Puis j’ai repris le groupe Tests, c'est de la presse informatique, un secteur très concurrencé par le gratuit sur le online.
En tant que repreneur, j’ai connu les 3 phases de l'entreprise : le démarrage, la montée en puissance et la restructuration. J’ai préféré de loin les premières phases et j’ai eu envie de revenir à mes premiers amours, les jeunes sociétés.
J’ai rencontré Marc Simoncini qui créait Jaïna Capital, le premier fonds d’investissement early stage, situé entre le fonds classique et les business angels. J’ai aimé ce métier d’investisseur notamment après avoir connu l’entrepreneuriat. J'ai aimé transmettre à des jeunes entrepreneurs l’expérience que j’avais pu avoir. C'était très riche intellectuellement. Pendant 3 ans, nous avons investi dans de belles sociétés, Made.com, Devialet, La ruche qui dit oui… de nouveaux modèles qui voulait disrupter de nombreux secteurs.
Qu’est-ce qui vous a amené à créer Educapital ?
Je voyais toute la journée des personnes qui voulait disrupter la banque, le voyage, le taxi et le soir à la maison, j’étais confrontée aux carnets de correspondance de mes enfants avec le même mot écrit à la main 30 fois par la maitresse. J’y ai vu un schisme entre deux mondes qui ne se parlent pas : une école qui forme de moins en moins aux métiers de demain et une jeunesse qui vit avec les écrans et le numérique. En parallèle, je voyais qu’aux États-Unis des fonds existaient dans le domaine de l’éducation. Cela correspondait aussi à la crise de la quarantaine, l’envie de travailler dans quelque chose qui fait sens. L'éducation est ce qui est le plus important, investir dans le capital humain, c'est ce qui façonne un pays. Je suis un pur produit de la méritocratie de l’école républicaine et j'avais envie de redonner aussi.
L’aventure Educapital
Créer un fond c’est un parcours du combattant, c’est un petit milieu, fermé, très masculin même si cela change. Je me suis associée avec Litzie Maarek. Nous sommes un des seuls fonds gérés par deux femmes indépendantes. Nous avons réussi à convaincre beaucoup de familles privées, la BPI, des corporates et des individuels.
Educapital 1 a été créé en 2017. Nous sommes le premier fonds européen dédié à l’Edtech, l'innovation au service du secteur de l’éducation et de la formation, de la petite enfance jusqu'à la formation professionnelle.
Le monde du travail change. En effet, nous allons alterner les périodes de formation, d’entrepreneuriat, de salariat, nous allons faire 8 à 9 métiers dans une vie, il va falloir s'adapter. Nous avons investi dans 20 sociétés qui innovent dans ce secteur et nous venons d’annoncer il y a quelques mois le premier closing d'Educapital 2 avec 100 M d'euros (avec l'objectif d'atteindre 150 M d’euros) pour l'Edtech et le Futur of Work.
Le Futur of Work, dans un monde du travail qui change, c'est comment engager des collaborateurs, les former, les coacher, les motiver…
Quelques exemples d'investissements (en savoir plus) :
L’enfance
Lunii qui développe la créativité des petits avec une histoire à télécharger.
Powerz, des jeux éducatifs immersifs utilisant les mêmes mécanismes des jeux vidéo qui rendent accro.
L’école
Magic Makers pour apprendre à coder.
Lalilo, une application d'apprentissage personnalisé pour apprendre à lire.
digiSchool, une plateforme pour l’orientation et la révision d’examens.
L’enseignement supérieur
Labster, des laboratoires virtuels de sciences pour apprendre en manipulant, pour rendre les sciences plus engageantes.
Futur of work
360 learning, plateforme collaborative, utilisée par l’éducation nationale.
Simundia, c’est du coaching en ligne.
Livementor, école de l'entrepreneuriat en ligne.
Chance, un programme de coaching et d'orientation professionnelle en ligne.
wecandoo, des ateliers de formation aux métiers de l’artisanat.
Invivox, plateforme pour la formation médicale.
En résumé, un fort apport d'innovations pour préparer au mieux les générations de demain au monde qui change très vite, dans une logique d'investissement visant performance financière et impact social. Nous sommes aussi un fonds à impact, nous suivons des business plan financiers et extra financiers. Nos sociétés doivent avoir un impact fort, donner accès à une éducation de qualité au plus grand nombre , ou réduire les inégalités, les décrochages, ou bien encore améliorer l'engagement des apprenants.
Quelles entreprises travaillent avec l'éducation nationale ?
Lalilo, que nous avons revendu et open digital education qui est l'outil qui permet de mieux communiquer avec les parents, qui donne les notes, les salles de classe, l'emploi du temps…
Ils sont présents au primaire et au secondaire. Le secteur de l’éducation est encore très centralisé, il y a eu beaucoup d’investissements dans les équipements mais peu encore dans l'innovation pédagogique. C'est un problème d’argent et de système de décision, très top down.
Nous militons pour plus de liberté pédagogique :
1. Mieux former les professeurs
2. Innover dans la pédagogie, les ordinateurs et tablettes ne servent à rien sans innovation pédagogique. Il faut utiliser les atouts de l'innovation pour enseigner de manière différente avec de la vidéo, de la réalité virtuelle , de l'IA.
3. Le système est trop centralisé.
Nous avons écrit un livre blanc en 2019 avec le Digital New Deal sur le sujet de la souveraineté éducative. Si on ne fait rien, nous aurons les GAFAM qui rentreront dans les salles de classe. Le confinement l'a bien montré, les écoles ont fermé et les profs qui n'étaient pas prêts se sont rabattus sur WhatsApp, Youtube…
Pour en savoir plus : Préserver notre souveraineté éducative : soutenir l’EdTech française
Votre éducation, votre histoire de vie ont-ils influencé votre capacité à entreprendre ?
Je dois tout à une prof. J’étais au lycée des Mureaux, une zone pas facile. J’ai eu une professeur de mathématiques qui a changé ma vie. Mes parents ne connaissaient rien aux grandes écoles. Elle m’a aidée à faire mon dossier pour rentrer en prépa. Les professeurs exercent une grande influence.
Et en tant qu’entrepreneur, j'ai eu la chance de côtoyer de grands entrepreneurs comme Xavier Niel, Marc Simoncini.
Quel est le futur du monde de l'éducation et du travail ?
Le monde de la petite enfance est structuré par l’école. J'espère que l’école sera innovante, autrement nous risquons d'avoir une société à deux vitesses avec une école privée, une médecine privée et le public à côté. Je n’aimerais pas cela.
L'école publique est le vecteur d’une société, de la méritocratie, de l’ascenseur social. Le professeur est indispensable mais il faut lui donner des outils innovants pour mieux engager la classe, rattraper les décrocheurs. En France, nous avons 80 000 enfants décrocheurs qui ne sont plus motivés et qui auront des problèmes toute leur vie. Le numérique peut mieux engager, proposer un apprentissage ludique, plus qualifié, on peut s’adapter au niveau de chaque enfant.
Avec le progrès des neurosciences, nous savons que chaque enfant retient et apprend de manière différente. Il peut y avoir 2 à 3 ans de différence de niveau entre 2 enfants d’une même classe. Il faudrait pouvoir pousser le bon élève pour éviter qu’il s’ennuie et faire en sorte que le moins bon progresse. Donc l’apprentissage individualisé avec l'intelligence artificielle et l’utilisation de data, est une révolution pour le secteur de l'éducation.
Dans l'enseignement supérieur, je pense que nous arriverons à un enseignement hybride en visio avec des professeurs très inspirants, et nous irons en classe pour échanger, travailler en groupe.
Le diplôme à vie c’est fini, nous aurons des micro-certifications. Il y a un grand bouleversement de l'enseignement supérieur comme celui du monde de l'entreprise et de la formation continue. Les compétences deviennent très vite obsolètes, il va falloir se former tout au long de sa vie. Avec le télétravail, il va falloir manager de manière différente, engager les talents différemment, les coacher, les former. Finalement, la Covid a remis le rôle des RH au centre de l'entreprise. Le management des talents devient clé pour la compétitivité de l’entreprise. Il est dur de recruter les jeunes. Garder les collaborateurs, c’est dur aussi. Le phénomène de "démission mentale" touche de nombreuses personnes.
Quelles sont les valeurs et les convictions qui vous guident et portent votre engagement professionnel au quotidien ?
En tant qu’investisseur, il était nécessaire d’allier investissement et impact. En investissant dans l’éducation, on change la vie des gens, on change le cœur d'une société.
Et puis sans faire de discrimination positive, nous finançons 40% de projets fondés ou co-fondés par des femmes. Peut-être parce que nous sommes deux femmes à la tête de notre entreprise et que nous regardons différemment les dossiers... Peut-être avons-nous moins de biais.
Que vous inspirent le numérique responsable et le métaverse ?
Toutes les start-up que nous suivons sont dans cette lignée. Nous avons nous-mêmes exclus des sujets très marketing sans vraie valeur ajoutée.
Le métaverse, nous y sommes déjà à travers Labster et Manzalab, qui comme Monsieur Jourdain, faisaient du métaverse avant que cela soit appelé ainsi. La réalité virtuelle est un vrai enjeu dans l'éducation.
Avez-vous des projets autour du handicap ? Pour les enfants atteints de troubles d’apprentissage ? Dans la silver économie ?
Oclock par exemple propose des formations 100% digitales pour apprendre le métier de développeur, cela permet aux personnes atteintes de handicap de pouvoir suivre la classe virtuelle.
Concernant les troubles d’apprentissage, c'est un sujet qui nous tiens à coeur et nous étudierons des projets dans ce sens.
Pour la population qui vieillit, il n’y a pas grand-chose encore. Le marketing n’est pas simple car les populations n'aiment pas être assimilées à cette catégorie d’âge.
Nous avons de la marge devant nous, le marché de l’éducation est digitalisé à hauteur de 3% et représente 7 trilliards. Pour comparaison, la digitalisation des médias est à 60%, le retail est à 25%.
Quelles sont les 3 réalisations dont vous êtes la plus fière ?
Mes deux enfants et Educapital.
Avez-vous un rapport extra financier ?
Oui, nous établissons un rapport ESG et avons développé notre propre méthodologie d'impact. Toutes nos sociétés ont des business plans qui prennent en compte les résultats à travers les indicateurs suivants : Accessibilité, Inclusion, Efficacité, Environnement, Social et Gouvernance.
Quelques exemples :
33% de femmes au sein des Conseils d’Administration
74% des participations ont mis en place un plan pour associer les collaborateurs aux résultats de l’entreprise
Création de près de 2000 emplois
Financement de 40% de femmes entrepreneures
19% des participations ont réalisé un bilan carbone, 47% ont mis en œuvre des pratiques destinées à réduire leur empreinte carbone
Dans votre parcours professionnel, avez-vous ressenti des freins ? Comment les avez-vous surmontés ?
Si j’étais restée dans un parcours classique dans l'entreprise, j’aurais rencontré le plafond de verre. Mais c’est parce que j’ai osé aller dans un secteur très nouveau, le web, certes très masculin mais surtout peuplé de passionnés, que j'ai pu évoluer.
Il n’y a pas assez de femmes qui créent des entreprises dans la tech. C'est un sujet d'éducation, l'école est à la base de tout car les carrières scientifiques font peur aux filles. La filière numérique accueille moins de 5% de filles.
J'avais lu une étude américaine intéressante : les jeunes filles qui avaient vu la série X-Files avec une héroïne féminine, avaient choisi les matières scientifiques 2 fois plus que les autres.
Quels sont les femmes et hommes qui vous inspirent aujourd’hui ?
Je n’ai pas eu beaucoup de rôles modèles. Dans ma génération, il n’y avait pas vraiment de rôles modèles féminins en entreprise. J’ai rencontré de grands entrepreneurs dans ma carrière, Xavier Niel et Jacques Veyrat. Et je peux citer deux figures féminines, au-delà de la sphère économique, Simone Veil ou Golda Meir qui a participé à la création de l'état d'Israël.
Un conseil à donner aux femmes ?
Apprendre à oser, aller hors des sentiers battus, oser démarrer des choses, entreprendre. Les femmes se mettent beaucoup de barrières.
Que représente cette reconnaissance de PWN Paris ?
Une reconnaissance est toujours agréable, d’autant plus quand elle arrive après un vrai parcours du combattant. J'espère que cela sera inspirant pour d’autres.
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